Né le 11 décembre 1890 à Centerville dans le Wisconsin, Mark George Tobey grandit à Chicago dans une famille d’origine anglaise. Passionné d’histoire naturelle et de dessin, il fréquente l’Art Institute de Chicago entre 1906 et 1908 mais se voit rapidement contraint d’abandonner les études pour gagner sa vie. Il s’installe à New York en 1910 où il tente de faire carrière en tant que portraitiste mondain et dessinateur de mode. En 1919, sa conversion à la religion bahaï, syncrétisme religieux venu d’Iran, bouleverse radicalement son approche de l’art. Il divorce et quitte New York pour Seattle en 1922, où il rencontre Teng Kuei, peintre chinois qui l’initie à la calligraphie et à l’art du lavis. Passionné par la philosophie, la cosmologie et la religion, Tobey est à la recherche d’une forme d’universalité. Il entreprend alors de voyager dans le monde entier. En 1925, il entame une pérégrination de Paris à Constantinople, du cubisme à l’écriture persane, et se nourrit des traditions culturelles les plus diverses. En 1934, il séjourne en Chine chez son mentor puis au Japon dans un monastère zen pour approfondir son expérience de la calligraphie. Dès lors, il abandonne les styles expressionnistes et post-cubistes pour trouver une écriture personnelle abstraite. Son oeuvre devient le vecteur de sa vie intérieure, par le biais d’un langage recourant au signe abstrait. Pourtant, Tobey ne rompra jamais définitivement avec la figuration et se défend d’être abstrait, car l’abstraction n’a aucune affinité avec la vie : « Ce que je préfère, c’est voir dans la nature ce que je souhaite mettre dans mon tableau. Quand nous réussissons à trouver l’abstrait dans la nature, nous trouvons l’art le plus profond. »
Si sa révélation est venue de l’Orient, Tobey n’en est pas moins rattaché à l’art contemporain américain. Il en est emblématique par la dimension introspective de son oeuvre autant que par son emploi précoce du all-over, le faisant précurseur d’un Jackson Pollock. Cependant, le langage de Tobey ne se déploie que sur des petits formats, le plus souvent par la technique de la tempera, de l’encre ou de l’aquarelle sur papier. Le peintre définit son écriture comme un foisonnant de petits éléments enchevêtrés en un réseau complexe qui anime la surface d’une vibration perpétuelle. Ces structures foliées semblent traduire un monde organique vivant directement inspiré de la nature. Ainsi, ce sont les univers de la science et de la religion qui fusionnent dans son oeuvre.
Depuis la série des « Ecritures blanches » entamée en 1935 jusqu’à Sans titre réalisé à Bâle en 1964, Tobey donne à voir sur le papier le fruit de ses méditations. Il invite le spectateur à un dialogue entre le visible et l’invisible, à un dépassement des apparences pour se rapprocher de l’essence des choses. Comme John Cage l’a écrit, « ses peintures existent afin de nous introduire quotidiennement à l’appréciation du monde dans lequel nous vivons ».
Internationalement reconnu comme un pionnier de l’expressionnisme abstrait et un membre éminent des « peintres de la Côte Ouest », Mark Tobey est surnommé « le vieux maître de la jeune peinture américaine ». A la croisée des traditions culturelles de l’Occident et de l’Extrême-Orient, son oeuvre s’est vue récompensée par le Grand Prix de peinture de la Biennale de Venise en 1958et a fait l’objet d’une rétrospective au MoMa de de New York dès 1962. Installé à Bâle depuis 1960, Tobey a partagé son temps entre peinture et musique jusqu’à sa mort en 1976, deux ans après la grande rétrospective que lui a consacré la National Collection of Fine Arts de Washington. William Chapin Seitz a ainsi résumé sa quête artistique : « Comme Kandinsky, Klee et Mondrian, Tobey voit la plus haute réalité des choses comme spirituelle plutôt que physique ».