RANSON Paul-Élie
Sorcière à la marmite
Huile sur carton
1897-1898
H. 20 L. 22 cm
Le tableau “La Sorcière au chat noir”, (Musée d’Orsay, Paris) peint par Paul-Élie Ranson en 1893, est une œuvre emblématique de sa période symboliste, dans laquelle il explore des thèmes ésotériques et spirituels. Ranson, membre du groupe des Nabis, s’éloigne ici des représentations traditionnelles pour créer une image mystique et décorative, à la fois personnelle et chargée de sens. L’œuvre représente une femme aux traits caricaturaux, une sorcière, assise dans une posture méditative ou rituelle. Elle est entourée d’animaux traditionnellement associés à la magie et aux croyances populaires : un chat noir, un corbeau et un bouc. Ces figures renforcent l’atmosphère mystérieuse et occulte de la scène.
Le décor est dominé par des teintes chaudes, orangées et brunes, qui évoquent à la fois la chaleur du feu et une ambiance crépusculaire. Les formes sont aplaties, stylisées, et délibérément simplifiées, selon les principes esthétiques des Nabis qui rejetaient la perspective réaliste et préféraient une approche décorative inspirée notamment de l’art japonais. L’absence de profondeur accentue le caractère rituel et intemporel de la scène. L’ensemble évoque un monde clos, ésotérique, où les frontières entre le réel, le rêve et le spirituel sont abolies.
“La Sorcière au chat noir” est aussi une manifestation de l’intérêt de Ranson pour les spiritualités alternatives, l’occultisme et la théosophie, qu’il découvre à la fin des années 1890. Le tableau ne raconte pas une histoire au sens narratif, mais incarne une vision : celle d’un monde invisible, accessible par l’art et l’intuition. Ce type de représentation place Ranson parmi les artistes qui annoncent les évolutions de l’art moderne, où l’expression intérieure et symbolique prend le pas sur la représentation fidèle du monde extérieur.
Enfin, cette œuvre peut être lue comme une critique ou une réinterprétation du féminin mystérieux, voire menaçant, souvent représenté sous la figure de la sorcière. Ici, la sorcière n’est pas montrée comme maléfique, mais comme une figure méditative, en communion avec des forces naturelles ou surnaturelles. Le tableau mêle ainsi mysticisme, art décoratif et vision personnelle, dans une composition qui marque un tournant important dans la carrière de Ranson. Il est aujourd’hui conservé au Musée d’Orsay à Paris, et reste l’une de ses œuvres les plus connues et les plus étudiées.
En comparaison avec un autre tableau de Paul-Élie Ranson également intitulé “La Sorcière” et daté de 1897, on observe une continuité thématique mais aussi une évolution stylistique et symbolique. Alors que “La Sorcière au chat noir” de 1893 présente une sorcière entourée d’animaux symboliques dans un cadre presque décoratif, l’œuvre de 1897 va encore plus loin dans l’abstraction et la spiritualisation du sujet.
Dans “La Sorcière” de 1897, la scène est plus dépouillée, plus resserrée sur la figure humaine. L’ambiance y est plus mystique encore, moins narrative, et davantage introspective. Le traitement des formes devient plus épuré, presque schématique, les contours s’effacent parfois pour laisser place à une fusion entre la figure humaine et son environnement. Ranson semble moins préoccupé par l’identification précise des éléments symboliques (chat, corbeau, bouc) que par la transmission d’un climat spirituel. L’accent est mis sur la présence intérieure du personnage, sur sa dimension quasi religieuse, comme une prêtresse en transe ou en prière.
Les couleurs, tout comme dans le tableau de 1893, conservent leur importance : elles sont souvent chaudes, terreuses, mais dans cette œuvre plus tardive, elles tendent à s’assombrir, à gagner en densité. L’influence des recherches occultes de Ranson est plus manifeste. Il ne s’agit plus seulement de figurer une sorcière selon l’imagerie populaire, mais bien de représenter un état de conscience, une connexion entre l’humain et des forces invisibles. Cette évolution reflète aussi l’approfondissement des préoccupations spirituelles de l’artiste à cette époque, marquée par son engagement dans la théosophie et les cercles ésotériques.
Enfin, du point de vue stylistique, “La Sorcière” de 1897 tend encore plus vers une esthétique qui s’affranchit des codes classiques. On y retrouve l’esprit nabi, mais enrichi d’une charge symbolique plus intériorisée. Si “La Sorcière au chat noir” attire par son pouvoir décoratif et narratif, “La Sorcière” de 1897 fascine par sa capacité à créer un sentiment de mystère profond, presque liturgique. Les deux tableaux témoignent d’une même quête : celle de représenter le monde spirituel à travers une forme picturale nouvelle, à la frontière du mythe, de l’occultisme et de l’art moderne.
Ainsi, l’œuvre de 1893 et celle de 1897 se répondent comme deux étapes d’un même voyage artistique : la première ancre encore la magie dans une iconographie identifiable, tandis que la seconde tend vers l’abstraction spirituelle. Toutes deux montrent à quel point Ranson a su faire de la figure de la sorcière un vecteur de questionnement sur le sacré, l’invisible et le pouvoir de l’image.

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